Portrait n°4
Sport : Rugby
Gérald Gambetta
“ J’ai retrouvé beaucoup de sens … ”
Interviewé le 29/04/2025
Publié par Célian Frossard
Son parcours sportif
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1990 - 2002
Formation
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2002 - 2003
Post Formation
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2003 - 2012
Pro D2 / Top 14
Caractéristiques
Né le : 22 Avril 1984 à Villeurbanne
Taille : 1 mètre 84 pour 99 kilos
Ancien Rugbyman professionnel
Poste : Troisième ligne
Pieds : Droit
Nationalité : Français
Situation Actuelle : Directeur du centre de formation du LOU Rugby
Parcours Junior :
ASVEL Rugby : 1990 - 2002
CS Bourgoin-Jallieu : 2002 - 2003
Pourquoi Gérald ?
Célian :
Gérald, c’est l’alliage rare entre la rigueur d’un meneur et la douceur d’un homme profondément humain.
Chaque échange avec lui inspire et surprend. Impossible de rester indifférent à son regard sur le monde, à la fois précis, curieux et infiniment généreux.
Une personnalité à contre-courant, justement.
« Sens du devoir »
L’interview…
De Villeurbanne à l’asvel rugby …
Célian : Je vais te demander de me décrire l'environnement familial et social dans lequel tu as évolué. Tu me parlais du Tonkin. Quel rôle il a joué dans cette appétence au rugby ?
Gérald : Je suis né au Tonkin, mais j'ai grandi aux Buers. Je ne sais pas si tu connais Villeurbanne. En face du centre social, mes parents vivaient dans un milieu ouvrier. Mon père bossait à la communauté urbaine de Lyon, ma mère à la CAF, la Caisse d’Allocations Familiales. En fin de carrière, quand mon père a été retraité, ils ont pris la responsabilité du siège de l'ASVEL Rugby. Ils faisaient à manger le midi, c'était une sorte de restaurant. Ils se sont aussi beaucoup investis dans le milieu du rugby. Ils avaient accroché. Mon père était un ancien joueur, et ma mère s’est également plu dans cet univers. J'ai grandi dans un environnement de barres HLM, avec un petit espace vert derrière l’immeuble de mes parents. La chance qu’on avait, c’est que toute la famille vivait autour : tous les frères et sœurs de mon père habitaient dans le coin, ainsi que tous mes cousins. On était entre nous, dans un environnement assez modeste, mais on était bien. On avait notre carré d’herbe derrière, on jouait au foot. Je ne jouais pas encore au rugby, j’étais le seul à en faire. Sûrement influencé un peu par mon père, et aussi par mon morphotype : j’étais un peu plus costaud que mes cousins et mes copains. On évoluait dans ce milieu modeste, mais on était heureux. On faisait du sport sur les terrains derrière le bâtiment : du foot, du baseball, du tennis. Pas souvent du rugby, même s’il y avait deux peupliers sur lesquels on tapait un peu des pénalités. Voilà un peu l’environnement dans lequel j’ai grandi.
Célian : Et du coup, comment as-tu commencé à jouer au rugby à l’ASVEL ? Ça s’est fait de quelle manière ?
Gérald : Le siège était à 300 mètres de chez mes parents, dans le même secteur, la même zone de Villeurbanne. Je n’habite toujours pas très loin d’ici, même si je ne suis plus dans la même rue. J’ai un peu changé, mais je suis toujours resté dans le coin. À la rentrée de CP, j’avais commencé la lutte. J’avais aimé la dimension combat-contact, mais j’avais moins accroché avec la dynamique des tournois. Je me souviens que ça me stressait, donc j’ai arrêté relativement rapidement. Puis, à la rentrée du CE1, mon père – ancien joueur de rugby – a proposé que je m’y mette. Le siège était tout proche, j’aimais le contact… Ça s’est fait naturellement. J’ai commencé comme ça. Et puis après, j’ai suivi mon chemin…
Le récit de son Premier match au LOU Rugby
C : Quel a été ton sentiment lors de ton premier match en pro ? Raconte-moi cette journée, parce que je pense qu'elle doit être spéciale.
G :C’était en octobre 2003. On fait match nul, je me rappelle : 20-20 à Vuillermet, donc à Lyon. La semaine suivante, je suis titulaire à Bayonne. C’était une grosse affiche, on devait être troisièmes ou deuxièmes, quelque chose comme ça. Un gros match de Pro D2 à l’époque. Je me retrouve titulaire à Bayonne, à 19 ans. Et là, je me blesse de nouveau à l’épaule, je rechute. Ça a marqué le début d’un long cycle… qui a duré quasiment 10 ans, enfin, 9 ans.
C : D’accord, d’accord. Et qu’est-ce que tu as ressenti en entrant sur le terrain ? Beaucoup d’émotions, j’imagine ?
« Une forme de fierté d’être là, bien sûr. Et en même temps, beaucoup d’appréhension. J’ai toujours été très stressé quant à ma capacité à répondre aux attentes, c’est une constante dans mon parcours. Quand tu arrives dans un environnement professionnel, que tu es tout jeune, tu te demandes : Est-ce que je vais avoir le niveau ?
Il y avait donc à la fois de l’excitation… mais aussi cette appréhension tenace. »
Une carrière rempli de défis au Lou rugby…
C : Sur les aspects et les valeurs que tu voulais transmettre, ou du moins… qu’est-ce que ça t’a apporté humainement d’être sportif professionnel dans ton parcours ?
G : C’est une bonne question. Je dirais que, finalement, c’est peut-être un de mes défauts : c’est ma personnalité, plus que le sport en lui-même, qui a influencé ma manière d’être un joueur de rugby professionnel. Et à certains égards, ça a pu être un frein.
Je suis quelqu’un d’humble — parfois trop — et pas toujours très sûr de moi. Tu parlais de syndrome de l’imposteur ; sans aller jusque-là, il y a quelque chose de cet ordre-là, parfois. Je ne me suis jamais vraiment considéré comme un "champion". Un vrai champion, c’est quelqu’un qui croit profondément en son potentiel, qui est déterminé, ambitieux.
Et moi, je ne l’étais pas autant que j’aurais pu ou dû l’être. C’est dommage, parce que je n’ai pas su inverser cette tendance. Ce sont plutôt les mauvais côtés de ma personnalité qui ont déteint sur le joueur que j’étais… et non l’inverse.
C : Donc tu penses que ces traits de caractère t’ont freiné pour atteindre le très haut niveau ?
G : Exactement. J’ai toujours été sous pression, dans une forme de stress permanent : Est-ce que je vais être à la hauteur ? Est-ce que je suis suffisamment bon ?
J’ai été beaucoup dans ces questionnements tout au long de ma carrière.
C : Ça me mène à ma prochaine question : tu as beaucoup réfléchi sur toi, tu t’es souvent interrogé. Est-ce qu’aujourd’hui, ton parcours personnel, tu l’utilises pour accompagner les jeunes rugbyman aspirant au haut niveau ? Et si oui, comment interagit-il avec ton rôle de directeur du centre de formation ?
G : Oui, j’ai retrouvé beaucoup de sens dans cette mission. C’est pour ça que j’introduis comme ça, parce que j’essaie vraiment de les éveiller. Je leur dis souvent : il y a un chemin qui mène à un sommet — ce sommet, c’est leur rêve, devenir joueur professionnel, parfois même international.
Mais le chemin, c’est eux qui le parcourent. Ce sont eux qui fournissent les efforts. Nous, on est là pour deux choses : leur donner des outils pour avancer, et les aider à trouver le bon passage.
Pour certains, c’est une ligne droite. Pour d’autres, qui ont pourtant un potentiel tout aussi grand, c’est un chemin plus vallonné, avec des détours, des prêts, des retours, parfois même des moments d’égarement. Et ça fait partie du jeu. En vérité, mon propre parcours, je le partage assez peu. Parce que ce n’est pas leur histoire, c’est la mienne. Et ils s’en fichent un peu, à juste titre, que j’aie été joueur pro ou pas.
Ce qui compte, c’est ce qu’on leur transmet de manière concrète, utile. Et ça, je m’y attelle avec une vraie démarche de formation continue. L’expérience de terrain, c’est bien. Mais l’empirisme, seul, ne suffit plus. Aujourd’hui, on doit l’associer à quelque chose de solide. Pour moi, c’est ça : combiner l’expérience vécue à des compétences construites, fiables, pour mieux les accompagner.

“ Fin du Bal ”
Crédit photo : Gérald Gambetta
C : Quel apprentissage du sport te suive encore aujourd'hui ? Qu'est-ce que le sport t'a apporté, que ce soit de la discipline, de la concentration ou autres chose qui te suivent encore ?
G : L'activité, après moi je pense avec ma personnalité c'est plutôt le sens du collectif, je suis quelqu'un, je ne sais pas, c'est moi qui le dit, donc c'est peut-être présomptueux, mais quand il faut donner un coup de main, mettre la main à la pâte, moi je n'ai pas de soucis avec ça.
C : Tu as le sens du devoir.
G : Voilà, sens du devoir, engagement très fort, c'est la bonne expression. Parfois au détriment d'autres choses, la vie personnel notamment, mais c'est comme ça, c'est ma personnalité, c'est vraiment mon héritage lié à mon parcours sportif.

Gérald
“Le rugby pro, c’est le graal pour certains,
Pas pour d’autres.
Ce qui compte, c’est de se questionner…
L’anecdote marquante
G : J'ai eu deux vies dans le rugby. J'ai eu une vie sur le terrain. Mais finalement, ce n'est pas celle qui me vient spontanément. C'est rigolo. Des anecdotes en tant que team manager, tu organises toute la logistique, l'accompagnement des joueurs. J'en ai eu plein pour des mecs aller faire des déménagements, aller chercher des trucs. Je me rappelle l'année dernière. Ils m'ont dit « Pourquoi tu fais ça ? » Je me disais que je ne vais pas ne pas l'aider. Je ne le faisais pas pour lui lécher le cul parce que je m'en fous. Je n'ai pas ce rapport. J'ai été pro. Ce n'est pas fascinant pour moi les pros. Mais le respect pour ce qu'ils font, c'est dur d'aller tous les samedis se taper des mecs qui veulent te casser la gueule. Franchement, c'est dur. Honnêtement. Mais je le faisais parce que pour moi, c'était important d'être dans cet engagement-là.
Pourquoi Gérald c’est contrecourant ?
C : Dernière question : est-ce que tu te sens "à contre-courant" dans ton parcours ? Parce que j’ai le sentiment, en discutant avec toi, que tu as ce profil un peu "anti-star". Tu as été rugbyman professionnel, mais tu ne te perçois pas comme quelqu’un d’obsédé par la victoire. Il y a toujours eu chez toi cette notion de plaisir, presque plus centrale que l’idée de gagner. Est-ce que, de ce fait, tu te sens en décalage ? Et qu’est-ce que ça t’a apporté ?
G : C’est vrai, c’est une très bonne question. Et je pense que c’est précisément ça qui a fait que je ne suis pas devenu un champion, au sens classique du terme.
J’ai souvent été très bon, parmi les meilleurs de ma génération, mais je n’étais pas un "champion" au fond de moi. Je t’ai parlé de l’ambition, du manque de confiance… Et puis je n’avais pas cette obsession de la gagne, contrairement à d’autres.
Un mec comme Pierre Mignoni, par exemple : lui, il a la gagne chevillée au corps. Il veut toujours gagner. Moi aussi, j’aime gagner — évidemment — mais ce n’est pas ce qui me pousse au quotidien. Ce n’est pas une obsession. Par contre, dans des structures comme la nôtre, à l’endroit où je suis aujourd’hui, je pense que cette sensibilité-là est précieuse. Elle permet d’équilibrer d’autres postures plus tournées vers la performance pure, parfois au détriment d’autres dimensions essentielles.
Je ne dis pas ça pour me justifier ou défendre ma place, mais je le crois sincèrement : ma manière d’être, ma vision, c’est une vraie plus-value dans ce que nous construisons ici.
C : Et tu dirais que ton parcours de rugbyman t’a aidé à trouver cette voie ? À donner du sens à ce que tu fais aujourd’hui ?
G : Oui. Je n’y ai pas beaucoup réfléchi, mais je crois que mon parcours m’a amené, naturellement, à l’endroit où je devais être.
C : Merci Gérald.
G : Avec plaisir.
