Éric carriÈre
Sport : Football
Portrait N°5
“ Quand on me dit que je suis en reconversion, je dis que c’était une reconversion d’aller dans le football, car c’est là que j’étais à Contrecourant ! ”
Interviewé le 27/05/2025
Publié par Célian Frossard
Son parcours sportif
-
1992 - 1995
National 1
-
1995 - 2001
Réserve Pro / Ligue 1
-
2001 - 2004
Ligue 1
-
2004 - 2008
Ligue 1 / Ligue 2
-
2008 - 2010
Ligue 2
-
-
2001 - 2002
10 selections
-
Caractéristiques
Né le : 24 Mai 1973 à Foix
Taille : 1 mètre 73 pour 65 kilos
Ancien Footballeur professionnel & international français
Poste : Milieu Offensif
Pieds : Droit
Nationalité : Français
Situation Actuelle : Dirigeant et fondateur chez Caves Carrière
Parcours Junior :
US Villenave-d’Ornon : 1978 - 1981
CS Auch : 1981 - 1992
Palmarès :
Champion de France en 2001 avec le FC Nantes, puis en 2002, 2003 et 2004 avec l'OL
Meilleur passeur de Ligue 1 en 2001 et 2002
Meilleur joueur de Division 1 en 2001
Coupe de France en 1999 et 2000 avec le FC Nantes
Trophée des Champions en 1999 avec le FC Nantes, puis en 2002 et 2003 avec l'OL
Coupe Intertoto en 2005 avec le RC Lens
Coupe des Confédérations en 2001 avec l’équipe de France
Pourquoi Éric ?
Célian :
“ Peut-on devenir champion de France, international, meilleur joueur de Ligue 1… sans jamais avoir fréquenté un centre de formation ?
Éric Carrière l’a fait.
À contre-courant des trajectoires classiques, ce discret génie du jeu et du contre-pied a construit sa carrière comme il joue : avec patience, lucidité et intelligence.
Humilité, travail, fidélité à ses valeurs : Éric Carrière est de ces rares champions qui n’ont jamais cru au destin tout tracé. Portrait d’un athlète atypique, qui inspire bien au-delà du terrain... "
« Humilité »
L’interview…
Une enfance marqué par le football
Célian : Pour recontextualiser un peu ton parcours, je vais te demander de décrire l’environnement dans lequel tu as évolué depuis que tu es petit.
Éric : J’étais dans un environnement classique, plutôt rural. Mon papa était géomètre au cadastre, ma maman s’occupait de mon frère et moi. Ça joue beaucoup sur le foot, tu vas voir. Ma maman s’occupait de nous pendant quelques années, après elle était secrétaire médicale. Mes grands-parents, ceux du côté de ma mère et de mon père, étaient fermiers dans l’Ariège, c’est pour ça que je parle d’un monde rural. On n’avait pas une famille qui avait énormément d’argent, mais on vivait très bien. Mon frère a vraiment un an de plus, puisqu’il est né le 18 mai et moi le 24 mai. On a beaucoup joué ensemble, l’un contre l’autre, à la maison, partout où on allait, c’était beaucoup de 1 contre 1 notamment.
C. : Tu as commencé à l'US Villeneuve-d’Ornon. À tes 6 ans, tu as poursuivi un cursus au niveau de ta préformation jusqu'au SC Auch. Comment ça s'est passé ? Est-ce que tu as gardé un suivi naturel ? Est-ce qu'il y avait déjà des prédispositions au football ?
É. : Des prédispositions, pas tant que ça. J'étais dans un club amateur où on s'entraînait une fois par semaine à l'époque, le mercredi, plus les matchs le samedi ou le dimanche. C'était une époque où on voyait ceux qui étaient convoqués dans le journal. Tu savais que tu allais au match, tu achetais le journal pour tes convocations. Il n'y avait pas de WhatsApp à cette époque. J'ai fait poussin, minime, cadet, junior, jusqu'au jour où j'ai eu le bac. J'ai fait toutes les catégories. Mais quand j'étais première année d'une catégorie, je jouais en réserve de Auch. Je n'étais pas en équipe 1. Je n'étais pas doué. J'avais des qualités, mais j'avais déjà un retard de maturité physique. Ce qui fait que quand tu es première année, face aux deuxièmes années, tu n'existes pas. Ça a été un peu mieux après.
Comment s’est passé ton cursus scolaire ?
C. : J’ai vu que tu avais fait une classe foot au collège à Auch, puis des essais au sport étude de Toulouse…
« Le cursus scolaire, je me mettais toujours au début que je voulais être footballeur professionnel. En 3ème, je suis allé à la classe foot. Début de 2ème, Je passe les tests pour réussir à rentrer aux sports études à Toulouse. Et je ne suis pas pris. »
Mais je comprends que je ne sois pas pris. Du coup, je ne marquais plus un footballeur professionnel. Je me suis alors dirigé de manière classique vers des études pour être prof à l'époque. Et quand j'ai eu le bac, j'ai joué en senior à Auch, en promotion d'honneur.
C. : J'ai lu DHR aussi.
É. : En fait, on a fait PH et DHR, j'ai fait deux années. Deux années avec l'équipe1. Et c'était pour moi le plus haut niveau où je jouais. Et c'était nos stars. Quand on est dans des petites villes comme ça, qu'on est gamin, qu'on a 12 ans, 13 ans et ainsi de suite, on va voir le match d'équipe 1 le samedi soir. Ils jouent en nocturne. A la mi-temps, on n'attend qu'une chose, c'est qu'ils sortent qu'on puisse aller jouer sur le terrain. Donc on jouait pendant la mi-temps et à la fin du match. Et à ce moment, d'avoir joué avec l'équipe 1, c'était déjà une sacrée récompense à 18 ans.
Du SC AUch à l’ascension vers le monde professionnel…
C. : On sait que tu es devenu footballeur professionnel sur le tard. Est-ce que tu peux nous raconter un peu cette période d'attente et peut-être d'incertitude ? Parce que j'ai vu que tu es notamment parti à l'université de Toulouse. Tu as eu aussi une aventure à Muret en National. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
É. : Quand je pars de Auch, je suis en DHR. Et je cherche une équipe en DH, un club proche de Toulouse. Puisque je faisais mes études à Toulouse et pour s'éviter de faire des allers-retours et donc je fais un essai à Toulouse-Fontaines à l'époque. Eux veulent me prendre, mais plutôt en junior. Et puis l'entraîneur de Muret, lui, se dit tiens, ce jeune il a l’air pas mal. Il avait pris quelques infos. Donc lui me dit viens, tu seras dans le groupe. Donc j'attaque dans le groupe de la DH. Et au début je suis remplaçant avec la DH. Je fais trois matchs remplaçant. Après je commence à jouer régulièrement. À être de plus en plus performant. J'attends un an et demi avant de pouvoir jouer avec l'équipe Nationale. Là j'ai 20 ans et demi. Et je fais un an et demi après en Nationale jusqu'à 22 ans. Et dans cette période de 3 ans à Muret, c'est un club qu'on peut appeler universitaire. Parce qu'on était beaucoup d’universitaires à jouer dans ce club-là. On faisait du covoiturage déjà. On jouait avec la fac le jeudi. On a été champions de France plusieurs fois.
C. : D'accord. Comment vivais-tu le fait de ne pas avoir intégré un cursus pour devenir footballeur à cette époque-là ? J'ai lu que tu passais un DUG de maths. Est-ce qu'à ce moment-là tu t'orientais vers ce choix de carrière ?
É. : Quand je suis arrivé à Muret je ne me dis pas que je vais être footballeur professionnel. Ce n'est pas possible en fait.
C. : Tu fais ces années en Nationale à Muret, et tu as été repéré par Guy Hillion. pour le FC Nantes. Tu n’intègres pas les professionnels la première année mais l’année suivante. Tu as évolué avec la réserve du coup. Pendant cette période-là. Jusqu'à devenir professionnels, quelles ont été ces plus grosses contraintes. Et comment ça s'est passé tout ce processus.
É. : Alors sur le parcours déjà de mon une année et demie en Nationale. C'est que je suis contacté par Caen. Et donc mon épouse, enfin ma copine de l’époque. Elle n’avait pas très envie de partir à ce moment-là. Parce que je crois qu’elle n’avait pas la licence. Et donc c’était prématuré. Donc je refais une année. Et pendant cette saison-là. Je vais faire un essai à Nantes. Qui se passe moyennement en fait. Je suis dans le dur physiquement. J’avais eu une entorse au genou juste avant. Puis on s’entraînait comme une équipe amateure, le lundi on décrassait, le mercredi un gros entraînement et le vendredi veille de match. Trois entraînements de semaine ce n’est pas beaucoup. Donc à Nantes j’arrive. C’est deux entraînements par jour. J’explose un peu. Et puis ils me disent écoute on ne va pas te prendre. On pense que footballistiquement tu as des qualités. Mais athlétiquement ça ne passera pas. Et en fait il y a un autre match. Où vient Robert Budzynski voir un autre joueur. Un coéquipier à moi. Et on gagne 6-0. Je fais 5 passes décisives. Je ne sais pas pourquoi ce match-là. Ils me font signer en effet stagiaire professionnel. Au début ils me proposent un contrat stagiaire. En m’entraînant avec le groupe pro.
C. : D’accord. Plus intéressant qu’à Caen.
É. : Oui exactement. Sur un nuage mais pas loin. Parce que c’est en 1995. Donc c’est l’année où ils sont champions. Et où on me dit tu viens. On te signe un contrat de deux ans.
À un salaire de prof. Parce que moi je voulais être prof. Je me suis dit putain c’est beau. Et tu vas être avec N’Doram, avec Pedros. On y va. On monte pour signer. On arrive. Robert Budzynski nous reçoit. Évidemment on a un problème. Il y a deux joueurs qui devaient partir qui ne partent pas. C’était Benoît Cauet et Anthony Martins. Je me rappelle les noms. Et ils ne partent pas. Ils sont dans le groupe pro. Donc tu peux signer. Nous on veut que tu signes. Mais ça sera avec le centre de formation. Donc là tu es là. Et tu retombes. Ce n’est pas que je ne voulais pas aller avec le centre. Mais ce n’est pas la même musique. Donc on ne signe pas. On revient à Toulouse. On dit on va prendre le temps de réflexion. On revient dans le sud-ouest. Après réflexion. Parce que j’avais d’autres clubs. J’avais Toulouse, Metz… Et puis mon père me dit : « C’est plutôt ton style de jeu ». Je me rappelle un peu cette conversation. Après j’ai pris la décision d’y aller. Mais ça voulait dire que je reprenais plus tôt. Parce que les centres reprennent plus tôt. Ce qui n’est pas grave. Et que tu reprends avec des joueurs qui ont 17-18 ans. Et moi j’en avais 22. Et donc je reprends. Je fais quelques entraînements. Et tout de suite. Problème de tendon rotulien. « Out » trois mois. Et quand je reprends. Je reprends avec la deuxième réserve. Donc l’équipe 3. Ça, c'est vraiment au début de ma période Nantaise. Donc. Tu joues avec des 17-18 ans, qui se moquent un peu de toi. Parce que toi t'as déjà 22. Qui disent que de toute façon c'est mort. Et en plus ton corps ne suit pas. Donc il a fallu travailler un peu dessus. Donc j'ai beaucoup bossé là-dessus. On a fait un premier match. En fait les six derniers mois de cette première saison se termine en apothéose. Parce que je commence à jouer en CFA. Et on joue Libourne et je mets 4 buts. Moi qui ne marque quasiment pas, je mets 4 buts et je mets un but de notre camp, un lob. Donc ça a fait parler chez les pros. Et je fais un banc, je suis remplaçant le dernier match en D1 parce qu'il manquait plein de monde. Et donc fin de première année. Donc ils me proposent de m'entraîner avec les pros la deuxième année. Là on franchit un petit cap quand même.
L’anecdote marquante contre
É. : En décembre 1996, pour la petite histoire on va se promener avec Nantes. C’est le dernier match de l’année civile. On se promène à Lyon au bord du Rhône. Au réveil musculaire, tout le monde est malade et puis Jean-Claude Suaudeau m’appelle. Il me dit bon : « bah je n’ai pas le choix puisqu’il y avait beaucoup de malades. Je n’ai pas le choix. Je suis obligé de te faire jouer ». Et en fait le match se passe plutôt bien. Je fais ce que j’ai à faire. Et puis physiquement je tiens. On gagne 1-0. Et ça a été un déclic pour moi. J’ai toujours vécu ça comme ça.
“ Quand je fais ce premier match à Lyon, c’est un peu un soulagement de se dire : Putain mais enfaite je peux, je suis capable…
La CONSÉCRATION au haut niveau
C. : Avoir signé footballeur professionnel tardivement, ça a été un handicap ou tu en as fait une force avec le recul ?
É. : Ouais, plutôt une force, pour beaucoup de choses. Déjà je considère que c'est normal que je n’aie pas pu performer avant. Puisque je fais partie de ceux qui ont une maturité plutôt lente. Mais assez progressive quand même. J’ai besoin de comprendre. De me retrouver dans la situation, de vivre dedans et de faire monter mon niveau. D'avoir de la confiance et un niveau de confiance aussi. Et le niveau de confiance, il fallait l’avoir sur le corps déjà. Que le corps, il ne fallait pas qu’il lâche. Et après de le sentir auprès des coéquipiers qui se disent : « ah ouais mais lui, on lui donne le ballon parce qu’il a le niveau en fait ». Donc ça tu l'obtiens au fil des matchs, au fil des entraînements, dans le regard des autres en fait. C’est partout pareil, dans une entreprise c’est la même chose. Tu t’adresses à ceux qui vont te résoudre des problèmes. Ceux qui vont t’aider à performer. Tu t’adresses moins à celui qui n’a pas de solution. Celui qui n’en a jamais, tu ne vas pas le voir en fait.
C. : Ok. Et donc c’est comme ça que commence ton aventure au FC Nantes. Je vais avancer jusqu’à la saison 2000-2001, où tu fais peut-être ta saison la plus aboutie. Parle-moi, en quoi elle a été pionnière pour la suite de ta carrière. Tu es élu meilleur joueur de la Ligue 1. Meilleur passeur. Tu gagnes le championnat. Et tu es appelé en équipe de France, notamment pour la Coupe des Confédérations.
É. : Oui surtout avec le parcours d’avant. Ce n’était pas prévisible en fait. C’est pour ça, il y a parfois des joueurs. C’est difficile pour tout le monde, même ceux qui ont du talent. Mais il y en a, où on voit tout de suite qu’ils ont le niveau au-dessus. Il fallait que je me passe des câbles pour qu’on le voie. Parce qu’on a parlé des deux premières années, mes premiers matchs. C’était être dans l’adversité. Et après j’ai commencé en étant moitié remplaçant, moitié titulaire. Après être titulaire tout le temps, puis de plus en plus performant, pour arriver à cette fameuse saison, où on a performé ensemble pour être champion. Et moi je suis élu meilleur joueur du championnat. C’était un grand aboutissement.
C. : Et du coup, qu’est-ce que tu as ressenti quand tu as été appelé pour la première fois en équipe de France ?
É. : J’étais heureux, heureusement. Heureux mais pas surpris non plus. Parce qu’on m’aurait dit ça 5 ans avant, j’aurais dit non. Mais j’ai quand même fait l’équipe de France A’. Donc on va dire que ça a été une continuité. C’est pour ça que quand tu me disais une accélération, je n’en ai pas eu beaucoup d’accélération en fait c’était vraiment régulier. Une croissance, c’est ce qui me caractérise plutôt.
C. : Et du coup, petite question, quelles sont les différences pour toi de jouer pour un club et une nation ? Est-ce qu’il y a eu une différence au niveau des émotions, sur comment tu t’appréhendes un match ?
É. : L’impact est plus important en équipe nationale. Mais ce que je retiens aussi, quelle que soit l’équipe en face, c’est des top joueurs en fait. Même les petites nations, tu t’accroches. Tu n’as pas de match qui est hyper simple. Et quand j’étais en équipe de France, c’était la super équipe. Donc il y a Deschamps et Blanc de l’équipe 1998. Et tu sentais, les entraînements, c’est un niveau mental, précision, tout au-dessus. Et l’impact que ça a médiatiquement. Mais sinon, ça reste du foot.
C. : En parlant de choses pas trop anodines, tu pars après à Lyon. Tu enchaînes trois titres de champion de France. Qu’est-ce que tu en retiens ? Qu’est-ce qui a été le plus pionnier dans ce passage-là ?
É. : Ce qui était intéressant, parce que je suis passé du monde amateur à Nantes. J’ai coûté zéro salaire. C’était un changement de monde. Quand je bascule de Nantes à Lyon, j’ai un statut, un niveau de transfert élevé, un contrat élevé évidemment aussi. Et c’est un changement de philosophie entre les clubs. Nantes, c’était un style de jeu. C’était vraiment important, le jeu. J’avais été éduqué comme ça depuis six ans. J’arrive à Lyon, on est plus dans un côté où mentalement on doit être au-dessus des autres. Il y a une recherche de bien jouer. Lyon l’a prouvé les années qui ont suivi. Il y a cette bascule plus mentale. On est en face à face. Tu sens que tu as Christophe Delmotte, Sony Anderson, Florent Laville à l’époque. Il y a ce côté-là. Si j’ai quelque chose à retenir, je m’en sers dans mon entreprise. Ce n’est pas à l’entreprise de s’adapter à ta philosophie. Tu ne changes pas l’entreprise. Il faut que tu comprennes la philosophie. Tu ne pourras pas la bousculer en fait. Et il ne faut pas. Donc moi au début j’arrive et je me dis mais non mais il faut qu’on joue comme ça, comme ça, comme ça. Et non en fait. C’était à moi de changer ma manière de jouer et la manière dont les autres jouent.
Un parcours fait de leçons
C : Après ton passage réussi à Lyon, j'enchaine avec le RC Lens. Quel a été ton sentiment lors de la saison de la relégation avec le RC Lens puisque tu pars trois saisons à Lens et tu passes du coup d’une période où tu enchaînes trois titres de champions à une première saison à Lens jusqu’à une troisième où tu descends sportivement en Ligue 2.
“Quand je fais des interventions dans les entreprises, je le rajoute sur mon palmarès : descente en Ligue 2. Parce qu’en fait, ça fait partie d’une vie, on ne peut pas vouloir toujours qu’on garde que ce qui s’est bien passé.”
Je trouve que c’est bien d’analyser qu’est-ce qui n’a pas été en fait. Nantes n’a pas été champion que grâce à moi. J’espère un peu grâce à moi. Lens n’est pas descendu que à cause de moi. Mais quand même, j’y étais. Donc dans une entreprise, c’est bien de montrer aussi que, en fait, si tu prends une photo à l’instant T, tu dis la carrière d’Éric Carrière, c’est génial. Moi non, il y a eu ça. Cette année-là, on perd la finale de la Coupe de la Ligue aussi. T’as des émotions qu’il faut être capable de vivre, qui sont des émotions de déception, de perte d’estime de toi. Tu vois, il y a pas mal de choses. Tu sens la déception dans les yeux des gens. Ça fait partie du sport. D’accepter, de dire qu’on n’a pas été au niveau.
C. : Qu’est-ce que ça implique humainement pour toi d’avoir été sportif professionnel avec le recul ?
É. : C’est plein de choses en fait. Disons que quand tu te confrontes aux autres, que ce soit à l’entraînement, en match, etc… C’est bien une confrontation. C’est souvent toi ou moi en fait. Qui c’est qui sort avec le ballon ? Il n’y en a pas deux en fait. Ce n’est pas possible. Ça peut être zéro des fois. Je trouve que ça apprend plein de choses sur la vie après. La vie d’entreprise, c’est quand même ça. C’est-à-dire que oui, on peut parler de bien-être, mais à un moment, on est dans une concurrence par rapport à d’autres. Donc, ça t’apprend à être à la fois solide là-dessus, à la fois de se dire, là, je n’ai pas été bon. C’est impossible d’être bon tout le temps. Là, j’ai perdu. Comment on va faire pour gagner maintenant le prochain match ou le prochain marché dans une activité ? Il y a des émotions. Il y a tout ce qu’on vit dans ces moments-là. Et puis, tu vois, peut-être autre chose, c’est de voir qu’on peut démarrer en étant moyen, mais si on se donne des moyens de travailler, etc., ça ne veut pas dire qu’on va forcément performer...
C. : Aller chercher ton propre potentiel…
É. : C’est ça, c’est bien résumé.
Sa Reconversion
C. Quelques mots sur ta reconversion Éric, comment tu l’as vécu ? Quels défis as-tu rencontré ? Et aujourd’hui, quels sont tes projets ?

Célian : Est-ce que tu te considères comme quelqu’un à ContreCourant par rapport à ton parcours ?
Éric :
“Quand on me dit que je suis en reconversion,
je dis que c’était déjà une reconversion d’aller dans le foot,
car c’est là que j’étais à Contrecourant”
Atypique, on l’a souvent dit. C’est une chance, je trouve, d’avoir pu être étudiant, faire des boulots d’étudiant. Ça permet de ne pas déconnecter totalement. Tu déconnectes quand même un peu parce que tu te retrouves avec des sommes d’argent. C’est pas logique, au final, mais je pense que c’était une bonne chose de pouvoir rester connecté. C’est ce qu’il faudrait permettre aux jeunes joueurs maintenant, de les garder connectés plus longtemps plutôt que de les couper.
C. : Quelle est ta vision du succès aujourd’hui, après tous ces trophées ? Je ne les ai pas tous énumérés, mais est-ce qu’elle a évolué par rapport à ta période de joueur ? Peut-être maintenant, tu as plus de succès à voir tes filles évoluer et s’épanouir qu’à te dire « ouais, j’ai gagné la Ligue 1 ». C’est quoi, aujourd’hui, ta propre définition, toi, du succès ?
É. : C’est bien de dire quelle est ma définition parce qu’on ne l’a pas tous la même. Pour moi, le succès, ce n’est pas juste de gagner quelque chose. C’est comment tu vis au jour le jour, comment tu es en famille avec tes amis, comment tu te perçois toi-même aussi. Parce que ça, on a un sujet important sur la reconversion où beaucoup d’athlètes se construisent que sur l’athlète et pas sur eux-mêmes. Donc, moi, je pense que je n’ai pas eu ce souci du tout. Et le succès, après, en fait, je ne le touche pas tout le temps, mais c’est quasi. C’est-à-dire que quand les gens te disent « je suis un Nantais encore aujourd’hui », un gendarme qui me dit « je suis un Nantais, je vous ai vu jouer ». En fait, c’est le plaisir des autres que tu dis « ah ouais, quand même ». Ça a apporté des émotions à chacun.
C. : Dernière question. Quelles valeurs apportes-tu à un parcours atypique dans le sport ? Est-ce que tu penses qu'il y a une réelle valeur ajoutée dans ton parcours, le fait d'avoir commencé plus tard que les autres, qui t'a permis peut-être de durer jusqu'à 37 ans, alors que certains s'arrêtent un peu plus tôt en chemin ? Qu'est-ce que ça t'a apporté, ces valeurs d'atypique, comme tu m'en as décrit ?
É. : Déjà, je pense qu'il y a des parcours un peu plus classiques, mais quoi qu'il arrive, il y a des histoires de vie pour tout le monde. D'ailleurs, souvent, quand je vois, je lis le mec qui dit « moi, on ne m'a rien donné », non, en fait, personne, personne n'a rien donné. Même à Mbappé, on ne lui donne rien, donc il faut qu'il s'arrache. C'est ce que je te disais tout à l'heure, pour moi, le côté atypique me concernant, c'est que ça m'a permis de rester connecté. Tu as des potes qui ont fait la fac, qui bossent, qui ont des situations plus ou moins bonnes, mais tu sais ce que c'est qu'un salaire de 3 000 balles, quoi. Tu ne te dis pas « 3 000 balles, ce n’est pas rien ». 3 000 balles, c'est un bon salaire.
C. : Merci Éric.
